Médicaments et Grossesse – Principes Généraux

1- Avant la conception

Attendre 7 demi-vies …

Une grossesse ne doit pas être commencée avant d’avoir éliminé du sang un médicament potentiellement dangereux pour le fœtus. Pour cela, il faut connaître la « demi-vie » du médicament en question (temps pour que sa concentration sanguine diminue de moitié), en allant sur médicaments.gouv (taper le nom du médicament, le choisir dans le menu déroulant, aller en bas de la page où il réapparait, cliquer dessus, aller dans « Résumé des Caractéristiques du Produit » puis dans la rubrique « Pharmaco-cinétique »). 5 demi-vies sont nécessaires pour éliminer 95% du médicament ; 7 demi-vies permettent d’en éliminer 99%. Par exemple, la demi-vie du Xanax est entre 10 et 20 heures, selon les patients. Pour être sûr de ne plus en avoir dans le sang, il faut 7 x 20 heures, soit 140 heures, presque 6 jours. Les demi-vies peuvent être très longues, par exemple, le Léflunomide, un immuno-suppresseur, persiste dans le sang jusqu’à 2 ans.

Il faut tenir compte également de la demi-vie des métabolites (produits de transformation) actifs. Le Prozac (Fluoxétine) a une demi-vie de 4 à 6 jours, mais son métabolite actif (la norfluoxétine) a une demi-vie de 4 à 16 jours selon les patients. Pour l’éliminer complètement de l’organisme, cela peut prendre jusqu’à 7 x 16 jours, soit 112 jours, soit près de 4 mois. Autre exemple, l’Acitrétine (Soriatane) utilisé dans certains psoriasis, a une demi-vie de 50h00 mais se dégrade en une molécule fœtotoxiqe dont la demi-vie est de 60h00. En présence d’alcool, il se transforme en une autre molécule (l’Étrétinate) dont la demi-vie atteint 120 jours ; il persiste donc dans le sang près de 2 ans et demi.

MAIS ce délai (attendre 7 demi-vie après l’arrêt du traitement avant la conception) peut être tout à fait insuffisant selon le mécanisme fœtotoxique (tératogène) du médicament et selon son éventuel stockage dans les graisses.

… Plus un délai lié à l’éventuel stockage du médicament dans le tissus adipeux

Certains médicaments sont stockés dans les graisses et relargués progressivement dans le sang pendant des durées très longues. C’est, par exemple, le cas de l’Acitrétine (Soriatane) qui se diffuse dans l’organisme pendant 2 ans, ce qui nécessite une contraception pendant au moins 2 ans après la fin du traitement, plutôt 3 ans par précaution.

… Plus un délai de trois à six mois en cas de médicament génotoxique

Les ovocytes et spermatozoïdes sont les cellules reproductrices (« gamètes ») femelles et mâles. Les gamètes ne contiennent qu’un seul exemplaire de chaque chromosome, contrairement aux autres cellules qui en contiennent deux. Elles se forment lors du processus de double division cellulaire de la méiose.

Les agents génotoxiques peuvent agir sur le patrimoine génétique des gamètes en provoquant :

  • des cassures de l’ADN (effet clastogène)
  • des remaniements des séquences de l’ADN (effet mutagène)
  • des perturbations de la machinerie cellulaire qui permet la duplication de l’ADN (effet aneugène, qui conduit à des anomalies du nombre de chromosomes)

Ces anomalies, si elles en sont pas réparées, conduisent à des avortements spontanés ou à des malformations fœtales.

Après l’exposition à un médicament génotoxique, pour éviter des malformations de l’enfant à naître, la conception ne doit survenir qu’après l’élimination des gamètes potentiellement détériorées par cette molécule. Chez les femmes, la production  d’ovocytes dure environ 6 mois. Chez les hommes, le temps nécessaire à la production de spermatozoïdes et à leur transport vers l’épididyme (lieu de fin de maturation et de stockage des spermatozoïdes) est de 3 mois. Il faut donc attendre 6 mois pour la femme et 3 mois pour l’homme, après un temps de 7 demi-vies suivant l’arrêt d’un médicament génotoxique pour envisager une conception (L’ansm trouve suffisant d’attendre respectivement 6 et 3 mois + 5 demi-vies).

Attention : les préconisations dans les RCP (Résumé des Caractéristiques du produit) sont parfois incohérentes et n’appliquent pas correctement les règles ci-dessus. Par exemple, la Mitoxantrone, un anti-cancéreux utilise parfois dans la Sclérose en plaques, est génotoxique et la durée de contraception préconisée chez les femmes, dans le RCP, n’est que de 4 mois après son arrêt, alors que cette durée doit être de 6 mois + 7 demi-vies de 12 jours (= 84 jours = environ 3 mois), soit 9 mois. Autre exemple, le Molnupavir, un anti-viral proposé dans le covid-19 débutant, qui est probablement mutagène selon la Food and Drug Administration  et pour lequel seuls 4 jours de contraception sont conseillés après son arrêt, alors qu’il faudrait prévoir 6 mois si la mère a pris ce médicament ou 3 mois s’il s’agit du père.

… Plus un délai pour refaire le stock de certains nutriments diminué par des médicaments

Certains médicaments diminuent le taux de certains nutriments indispensables au bon développement de l’enfant, comme la vitamine B9 (acide folique) et l’hémoglobine.

Acide folique

De nombreux médicaments exposent à un déficit en acide folique (en empêchant sa synthèse par inhibition de la dihydrofolate réductase), ce qui augmente le risque de malformations, en particulier les anomalies de fermeture du tube neural avec des anencéphalies et des spinifida. Il s’agit par exemple le Triméthoprime (Delprim ou Bactrim où il est associé au Sulfaméthoxazole) un antibiotique, du Méthotrexate un traitement de certaines maladies auto-immunes, plusieurs anti-épileptiques dont le Phénobarbital, le Valproate, la Carbamazépine et dans une moindre mesure la Lamotrigine. Il est recommandé de prendre une supplémentation en acide folique pendant 3 mois après l’arrêt du médicament plus 7 demi-vies et au début de la grossesse.

Hémoglobine

Des médicaments exposent à une diminution de l’hémoglobine : Inhibiteurs de la Pompe à Protons, par diminution de l’acidité gastrique nécessaire à l’absorption du fer et de la vitamine B12, certains anti-infectieux comme les céphalosporines, l’interféron alpha ou des inhibiteurs de la protase du HIV, par destruction des globules rouges. Des médicaments exposent à des saignements comme les anticoagulants, certains anti-épileptiques (dont le Valproate) et les IRS. Un taux d’hémoglobine inférieur à 9g/dl est associé, chez la femme enceinte, à une augmentation de la mortalité infantile et maternelle et à une augmentation des infections. En cas de prise de ces médicaments avant la grossesse, il est donc impératif de vérifier le taux d’hémoglobine et de prescrire une supplémentation en fer si nécessaire.

… Plus un délai d’un mois après vaccination par vaccins vivants atténués

2 – Pendant la grossesse

Le mieux est, évidemment, d’éviter les médicaments pendant la grossesse.

En cas de nécessité de traiter, il faut :

  • Sélectionner les médicaments les plus sûrs (voir ici pour les psychotropes). Le CRAT donne des informations utiles, bien que n’intégrant pas toujours les dernières données (par exemple, il conseille une contraception de 3 mois après les cytologiques alors que le Collège national des gynécologues et obstétriciens français recommande un délai de 6 mois ; les fiches sur les IRS ne donnent pas les dernières informations récapitulées ici).
  • Prendre la dose minimale.
  • Éviter d’associer plusieurs médicaments. Pour cela, il faut s’appuyer sur la nutrition, les mesures de neuro-protection et la psychothérapie.

L’utilisation de vaccins vivants atténués est contre-indiquée chez les femmes enceintes compte-tenu du risque d’infection par l’agent vaccinal et du risque tératogène de certaines infections, comme la rubéole. C’est le cas des vaccins contre la rubéole, la fièvre jaune, la tuberculose ou la varicelle. Il faut, de plus, attendre un mois avant la conception après ces vaccinations.

Source principale : Prescrire, juin 2022, p.432 s