Microbiote et Dysbiose

Généralités

Notre tube digestif contient au moins 10 000 milliards (10 puissance 13) de micro-organismes (bactéries, archées, champignons, virus, parasites), de 500 à 1000 espèces différentes.

= Autant que le nombre de cellules que dans l’ensemble de notre organisme (voir plus selon certaines études)

= 100 à 150 fois plus de gènes que dans notre organisme

Cet ensemble de micro-organismes est appelé le « microbiote ».

Le microbiote est spécifique à chacun, comme une empreinte digitale.

 

Sans microbiote digestif nous ne pouvons pas vivre. 

Sans un microbiote digestif en bonne santé, nous ne pouvons pas être en bonne santé.

 

Le microbiote digestif est considéré comme un « organe » à part entière, et un organe qui veille à la bonne santé des autres organes. On peut distinguer six fonctions majeures :

1- Protection du tube digestif :

Le microbiote entretient la muqueuse intestinale en stimulant la sécrétion de mucus et en entretenant les « jonctions serrées » entre les entérocytes (cellules de l’intestin grêle). Le microbiote en bonne santé empêche la perméabilité intestinale. 

2- Régulation des organismes potentiellement pathogènes :

Le microbiote bien équilibré évite la pullulation de bactéries pathogènes comme Clostridium difficile (qui donne des colites dès graves (« pseudo-membraneuses ») ou de champignons comme Candida Albicans (qui sécrètent des substances neuro-toxiques). Certaines bactéries en trop grand nombre peuvent sur-consommer le fer, entraînant des anémies chroniques et difficiles à supplémenter.

3- Digestion (Landman 2016)

  • Digestion des protéines et des sucres
  • Digestion des graisses et contrôle du stockage des graisses (prévention de l’obésité ; Assadi 2022)
  • Métabolisme des acides biliaires
  • Neutralisation de xénobiotiques (polluants)
  • Digestion des fibres (rôle fondamental, voir ci-dessous)

4- Fabrication de molécules bénéfiques :

Acides Gras à Courtes Chaînes (ACCC) (Butyrate, Propionate, Acétate). Ces molécules sont, pour les bactéries, des « déchets » de la digestion des fibres mais sont, pour nous, des molécules indispensables à notre santé. Leurs principaux rôles sont les suivants :

Alimentation des cellules du colon (Butyrate)

Blocage de la prolifération des cellules cancéreuses du colon (Butyrate) (Salvi 2021)

Renforcement de la barrière digestive et rôle anti-inflammatoire digestif (Butyrate) (Bach Knudsen 2018)

Diminution de la tension artérielle et rôle cardio-protecteur (notamment Propionate (Bartolomaeus 2019 ; Hu 2022)

Au niveau du cerveau : rôles absolument fondamentaux pour la santé neurologique et mentale

      • Entretien de la barrière qui protège le cerveau (« barrière hémato-encéphalique ») (Fock 2023)
      • Maturation et régulation de la micro-glie (cellules immunitaires (macrophages) qui protègent les neurones) (Erni 2015 Colombo 2021)
      • Effet anti-inflammatoire sur la micro-glie (après passage de la barrière hématologies-méningée)
      • Diminution de la réactivité au stress en diminuant l’expression des gènes codant pour les protéines de l’axe du stress (Hypthalamo-hypophyo-surrénalien) (Van de Wouw 2018)
      • Régulation du sommeil (premières études) (Szentirmai 2019)

Des études sur des modèles animaux ont montré un effet antidépresseur (Wei 2015, Valvassori 2015, Yamawaki 2018) et un effet anti-maniaque du Butyrate (Resende 2013).

L’Acétate est notamment le précurseur du neuro-tranmetteur acéthylcholine et de l’acétyl Coenzyme A indispensable au métabolisme du sucre (glycolyse)

Vitamines : le microbiote a besoin de vitamines pour être en bonne santé mais il peut lui-même synthétiser toutes les vitamines B, la vitamine C et la vitamine K (Zhai 2022)

Neurotransmetteurs : Le microbiote synthétise GABA, Sérotonine, Dopamine, Acéthylcholine et Histamine (Liu 2020). Ces neurotransmetteurs sont produits en très petite quantité (Butler 2019). Il semble que ces neuro-transmetteurs n’entrent pas dans le cerveau par voie sanguine. La barrière hémato-encéphalique, en effet, empêche les neurotransmetteurs de sortir ou d’entrer dans le cerveau. (Ohtsuki 2004, Shabbir 2013). Ils peuvent cependant rejoindre le cerveau à travers le nerfs vague (qui relie le bulbe rachidien au système nerveux intestinal) mais semble-t-il dans le but d’informer le cerveau de l’état du tube digestif. La sérotonine produite par le microbiote semble avoir comme fonction d’améliorer la mobilité intestinale et d’aider les plaquettes sanguines dans leur rôle de coagulation (Yano 2015, Strandwitz 2019Dicks 2022). Pour augmenter le taux de sérotonine dans le cerveau, il y a quatre moyens : la psychothérapie, l’exercice physique, la luminothérapie et l’augmentation des apports alimentaires en Tryptophane son précurseur (produits animaux, fruits à coque (amandes, noix de cajou…), chocolat noir, banane, levure de bière, etc.) (Young 2007). La synthèse de Tryptophane par les bactéries du microbiote ne semble pas être significative (Although some members of the bacterial microbiota, such as Escherichia coli, are able to produce Trp, no data support the significant contribution of bacteria-derived Trp in human physiology (Algus 2018)). En revanche, un bon équilibre du microbiote permet d’éviter d’orienter le Tryptophane vers la synthèse de kinurénine qui est source de neuro-inflammation (voir plus bas).

Acides biliaires : Le microbiote transforme les acides biliaires produits par le foie avant leur réabsorption par l’iléon terminal

5- Maturation et soutien du système immunitaire

La majorité des cellules de l’immunité se trouve dans le tube digestif (environ 70%). Le microbiote aide à leur maturation et à leur mobilisation. (Gaboriau-Routhiau 2016)

 

6- Modulation de l’axe de gestion du stress (Hypothalamo-hypophyso-surrénalien ou Hypothalamus-Pituitary-Adrenal en anglais (HPA))

Le stress active cet axe et aboutit à la production de cortisol (hormone de la vigilance) par les glandes surrénales. Une sur-stimulation de ce mécanisme a des effets délétères dont la perturbation du microbiote et la création d’une dysbiose (Bailey 1999). Mais le microbiote agit également sur cet axe, notamment en le rendant moins réactif, ce qui diminue la sensibilité au stress (article de synthèse de Misiak 2020). Différentes bactéries comme Lactobacillus et Bifidobactéries sont particulièrement impliquées dans cette régulation. Par exemple, une étude sur des bébés rats séparés de leur mère a montré qu’une supplémentation en Bifidobacterium infantis supprimait les effets du stress sur les marqueurs inflammatoires et sur les comportements d’anxiété et de dépression (Desbonnet 2010)

 

Dysbiose

Le microbiote peut se déséquilibrer, c’est ce que l’on appelle la « dysbiose ».

La dysbiose sous-tend de nombreuses pathologies (obésité, allergies, maladies inflammatoires et auto-immunes ; maldigestions ; malabsorption ; cancer du colon.

Les causes de dysbiose sont exposés ici.

Les conséquences sur le cerveau sont désastreuses, outre la maladie d’Alzheimer et de Parkinson suspectée de commencer dans le tube digestif, toutes les maladies psychiatriques sont liées à la dysbiose.

 

Diagnostic de dysbiose

• La dysbiose peut se traduire par des troubles digestifs (diarrhées, constipation, nausées, ballonnements, douleurs abdominales). Ces symptômes sont d’autant plus évocateurs qu’ils sont anciens. Ces symptômes doivent être explorés par un médecin et si besoin en faisant une coloscopie et une gastroscopie pour éliminer une cause organique, notamment un cancer. À noter : il n’est pas rare que la préparation colique de la coloscopie améliore pendant quelques jours les symptômes digestifs dans le cas d’une dysbiose.

• Les troubles digestifs ne sont pas toujours présents.

• Le diagnostic s’appuie sur un faisceau d’arguments : présence d’un grand nombre de causes de dysbiose  ; présence de pathologies liées à la dysbiose notamment l’asthme, l’eczéma, des infections à répétition, ou les maladies auto-immunes.

• Le diagnostic formel nécessiterait une analyse des gaz expirés (qui reflètent le type de fermentation) ou une analyse génomique des bactéries fécales, ce qui n’est pas de pratique courante.

 

Dysbiose et psychiatrie

En reprenant les fonctions bénéfiques du microbiote ci-dessus, on comprend facilement le désastre pour le cerveau lorsque une dysbiose s’installe.

1- Perméabilité intestinale

Toutes sorte de toxines nocives pour le cerveau passent dans le sang, notamment des grosses molécules pro-inflammatoire comme les LPS (Lipo-polysaccharides), fragments de parois des bactéries Gram négatif et des peptidoglycanes, constituant de la paroi de la plupart des bactéries.

2- Pullulation de bactéries potentiellement capable de sécréter des neuro-toxines

3- Maldigestion

  • Risque de carences, de mauvaise assimilation des sucres et des protéines ; risque d’obésité
  • Mauvais neutralisation des polluants neuro-toxiques
  • Mauvaise digestion des fibres et donc diminution des Acides Gras à Courte Chaînes

4- Diminution des molécules bénéfiques et synthèse de molécules toxiques

La diminution du taux d’Acides Gras à Courtes Chaînes (ACCC) provoque :

  • Perméabilité de la barrière hémato-encéphalique. Les toxines véhiculées par le sang ne sont plus filtrées et peuvent rentrer aisément dans le cerveau. Couplé à la perméabilité de la barrière intestinale, ceci expose considérablement le cerveau à de nombreuses toxines.
  • Neuro-inflammation, qui détériore profondément le fonctionnement cérébral et que l’on retrouve très souvent dans la dépression, les troubles anxieux, les troubles bipolaires, la schizophrénie, le TDAH
  • Augmentation de la réactivité au stress, qui à son tour aggrave la dysbiose et les pathologies sus-citées

La synthèse digestive de sérotonine est perturbée par la dysbiose. Le Tryptophane, précurseur de la sérotonine, est comme détourné pour produire de la kinurénine et de l’acide quinolinique qui sont pro-inflammatoire et grandement incriminé désormais dans la physiopathologie des dépressions, des troubles anxieux et des troubles bipolaires. (Marin 2017, Myint 2007, Serafini 2017).

La dysbiose peut également amener la synthèse d’amyloïde et de synucléine qui migrent vers le cerveau via le nerf vague et qui se déposent respectivement dans l’hippocampe et les noyaux gris centraux provoquant la maladie d’Alzheimer et de Parkinson (Liu 2020).

5- Dérèglement immunitaire

Les cellules immunitaires du tube digestif sécrètent des molécules pro-inflammatoires (cytokines) qui aggravent la neuro-inflammation.

6- Stimulation de l’axe du stress

La dysbiose stimule l’axe HPA par différents mécanismes : par les LPS et peptigoglycanes, par les cytokines pro-inflammatoires, par une protéine synthétisée par la bactérie Escherichia Coli (CLpB) qui stimule la sécrétion de l’hormone hypophysaire ACTH, par la diminution des ACCC. (Misiak 2020)

L’iléon (fin de l’intestin grêle) est capable de synthétiser du cortisol. En cas de dysbisoe cette synthèse s’accroit, ce qui augmente encore le taux de cortisol circulant. (id).

 

Il est donc absolument nécessaire

de prévenir et traiter la dysbiose pour traiter correctement les maladies psychiatriques.