Cyclothymie

La cyclothymie est une pathologie fréquente (prévalence de 6% en population générale et 50 % parmi les dépressifs qui consultent en psychiatrie)1.

La cyclothymie est définie comme un trouble bipolaire « atténué » : les phases hautes (exaltation) sont moins intenses et les phases basses (dépressions) peuvent durer moins longtemps. Cependant, cette définition est peu efficace pour reconnaître la cyclothymie en pratique. Il est préférable de la comprendre comme une exagération pathologique du tempérament cyclothymique, caractérisée par une dysrégulation émotionnelle, une réactivité pathologique et une extrême instabilité de l’humeur.2

Le diagnostic peut être rendu difficile pour plusieurs raisons :

– Les phases hautes peuvent être considérées comme le fonctionnement normal du sujet (le sujet a une haute énergie ; il est très rapide, très efficace, très pertinent, très ouvert aux autres, il dynamise ses collègues, …). Pendant ces phases, le sujet rattrape souvent le retard accumulé pendant les phases basses, qui sont les seules à être repérées comme pathologiques. Le diagnostic évoqué par le sujet et les médecins peut être alors celui de dépressions récurrentes.

– La dimension haute est le plus souvent « sombre » : irritabilité, impatience, désinhibition, mises en danger (dépenses d’argent, comportements sexuels inadéquats, conduite automobile à risque, consommation alimentaire compulsive, alcoolisation, utilisation de substances,..)). La dimension haute se manifeste plus rarement par les symptômes positifs comme l’augmentation de la confiance en soi et du plaisir à travailler, l’euphorie, l’optimisme, le rire excessif,… Le diagnostic retenu est souvent celui de troubles de la personnalité.

– Dans d’autres cas, la dimension haute est surtout cognitive : accélération de la pensée, pouvant empêcher le sujet de dormir ; idées survenant rapidement, parfois de manière décousue ; troubles de l’attention et de la mémoire ; pensée confuse. Le diagnostic évoqué peut être alors celui de TDA/H.

– Les phases hautes peuvent être intriquées aux phases basses dans ce que l’on appelle les « états mixtes ». Par exemple, les pensées et le comportement sont « hauts» (impossibilité de mettre le cerveau au repos ; irritabilité, impatience,…) et, simultanément, l’humeur est basse (tristesse, envie de mourir,…). L’état-mixte n’est pas reconnu et le diagnostic posé est celui de « dépression anxieuse ».

– Les phases de dépression dans la cyclothymie passent souvent pour des dépressions réactionnelles du fait de la constance des événements déclenchants (habituellement minimes, mais réels) et de la sensibilité émotionnelle excessive.

– La labilité émotionnelle importante amène des spécialistes à poser le diagnostic d’hystérie.

– La cyclothymie est souvent associée à d’autres problématiques qu’elle a favorisées et qui peuvent apparaître au premier plan. Le fait d’être instable émotionnellement depuis l’enfance, de ne pouvoir compter sur soi-même, favorise l’anxiété sous toutes ses formes (Troubles Anxieux Généralisés, phobies (notamment phobie sociale), attaques de panique, dysmorphophobie, …) ainsi que l’hypersensibilité au rejet et à l’abandon. L’instabilité empêche de contrôler adéquatement ses pulsions et favorise la boulimie et les troubles de contrôle des impulsions (kleptomanie, achats pathologiques, jeu pathologique, trichotillomanie ; auto-agressions (scarifications notamment)). Le sujet peut tenter de contenir son instabilité en développant un contrôle excessif de lui-même et de ses actes, pouvant conduire au développement d’un TOC. Les phases hautes et/ou les phases basses peuvent amener le sujet à consommer excessivement de l’alcool ou d’autres substances, jusqu’à l’addiction. Enfin, le sujet cyclothymique est plus exposé aux traumatismes physiques et psychiques, notamment les abus sexuels.

Le diagnostic retenu est souvent uniquement celui des troubles apparents, ou celui de « Personnalité Border-Line », d’état-limite.

Le diagnostic de cyclothymie repose sur les éléments suivants :

– Indices d’une sensibilité extrême depuis l’enfance ; hypermnésie précoce

– Âge de début précoce (enfance, adolescence), parfois brutal

– Changements d’humeur brusques, liés à des facteurs déclenchants minimes

– Contrairement aux troubles bipolaires classiques, il n’y a pas d’intervalles libres (ou s’il y en a, ils n’excèdent pas plus de deux mois (DSM 5)). Ici, l’humeur oscille en permanence, comme une sinusoïde, alternant des phases hautes et des phases basses ; dans certains cas, l’humeur peut être en permanence « mixte ».

– Fréquence des états-mixtes

– Dépressions souvent caractérisées pas une hypersomnie, une hyperphagie, une fatigue intense, une inversion du rythme nuit/jour.

– Fréquence des pathologies associées (Trouble Obsessionnel Compulsif, Trouble Anxieux Généralisé, Boulimie,…)

– Sur ce fonctionnement de base, peuvent se greffer des épisodes dépressifs majeurs ou hypomaniaques caractérisés, mais après au moins deux ans d’évolution chez les adultes et un an chez les jeunes

– Les conséquences affectives, familiales, professionnelles sont importantes (ruptures amoureuses, divorces, conflits, licenciements, carrière perturbée voire brisée,…)

– On retrouve des antécédents familiaux de bipolarité, de suicides ou Tentatives de Suicides, de personnalités « affectives », « cycloïdes », « cyclothymiques », des troubles anxieux, des roubles du contrôle des émotions, des troubles des conduites alimentaires, des TOC, d’alcoolisme.

La cyclothymie est une affection grave par la souffrance qu’elle entraîne pour le sujet et son entourage, par les pathologies (« comorbidités ») qu’elle favorise, par sa possible évolution vers un trouble bipolaire de type II et parce qu’elle conduit fréquemment au suicide.

La Cyclothymie a tendance à s’auto-entretenir et s’auto-aggraver par divers cercles vicieux : CYCLOTHYMIE CERCLES VICIEUX.

Elle doit être recherchée systématiquement devant tout trouble anxieux ou dépressif, devant tout troubles de la personnalité, devant tout syndrome de stress post-traumatique (que la cyclothymie favorise également).

Elle doit être traitée en premier lieu, avant d’envisager tout traitement sur les affections associées (faute de quoi ceux-ci sont inefficaces, voire dangereux). La stabilisation de la cyclothymie est un préalable indispensable au traitement médicamenteux des affections associées comme à la thérapie (EMDR ou TCC).

Les antidépresseurs peuvent améliorer rapidement la cyclothymie mais cette amélioration ne dure pas. Le plus souvent, les antidépresseurs aggravent la cyclothymie : amplification de l’exaltation, de l’anxiété, de la colère et de l’agressivité, voire virage maniaque, amplification de la fréquence et de l’intensité des changements d’humeur, déclenchement d’une crise suicidaire. Un cyclothymique ne doit jamais recevoir d’antidépresseur sans couverture d’un traitement régulateur d’humeur.

Les traitements médicamenteux doivent être proposés à des doses très progressives car les patients cyclothymiques sont anormalement sensibles aux effets des médicaments.

Sources:travaux de Hagop Akiskal, Jules Angst, Giulio Perugi, Athanasios Koukopoulos, Élie Hantouche (les livres et le site (CTAH)) de ce spécialiste français sont particulièrement éclairants)

Pour un exposé clair de la cyclothymie et de ses implications sur l’organisation psychologique du sujet, voir : Hantouch E, Trybou V, Soigner sa Cyclothymie,Odile Jacob

Lubie Lou, Goupil ou Face, Vraoum.eu, 2016 (BD extrêmement claire, précise et documentée)

1 Hantouche E.G., Akiskal H.S., Lancrenon S., Allilaire J.F., Sechter D., Azorin J.M., Bourgeois M., Fraud J.P., Châtenet-Duchêne L. Systematic clinical methodology for validating bipolar-II disorder: data in mid-stream from a French national multi-site study (EPIDEP). J. Affect. Disord. 1998;50(2-3):163–173.
2 Perugi G, Hantouche E, Vannucchi G, Diagnosis and Treatment of Cyclothymia: The « Primacy » of Temperament, Curr Neuropharmacol., 2017 Apr;15(3):372-379 ( article de synthèse, très clair, accessible gratuitement sur PUBMED)