Le lithium est le seul thymorégulateur au sens strict (efficacité sur les épisodes aigus, avec efficacité prophylactique).

Le lithium est le premier psychotrope découvert, grâce à la pertinence, au courage et au dévouement de J.F CADE et M.SHOU.

Historique

Le lithium est l’élément chimique de numéro atomique 3, au-dessus du sodium (Na) dans le tableau de Mendéléiev. Il a été découvert en 1818 par le chimiste suédois Arfwedson.

Depuis le milieu du XIXème siècle, le Lithium est connu pour ses vertus de solubilisation de l’acide urique et donc de traitement (peu efficace) contre la goutte (accumulation d’acide urique dans une articulation) et les rhumatismes.

À la même époque, le bromure de lithium était utilisé comme sédatif.

En 1948 aux USA, il était utilisé comme ‘sel’ de substitution chez les personnes au régime sans sel. Il a été largement utilisé puis abandonné rapidement en raison des effets toxiques à haute dose (surtout associé à la privation de sodium qui cause des surdosages en lithium).

En 1949, il est interdit par la Food and Drugs Administration. La même année, John Frederick Joseph CADE, psychiatre australien, étudiait l’effet toxique de l’acide urique sur le cerveau. Pour solubiliser l’acide urique et pouvoir l’injecter à des cobayes, il a utilisé de l’urate de lithium. Il a constaté que ces cobayes étaient protégés contre la toxicité neurologique de l’acide urique. Il a ensuite injecté le Lithium seul et constaté que les cobayes devenaient extrêmement calmes. Les premiers essais sur des patients maniaques chroniques eurent lieu en 1948 ((le 29 mars 1948 eut lieu la première prise thérapeutique de Lithium… date aussi importante que les premiers pas sur la lune le 20 juillet 1969 !). Les résultats furent spectaculaires(1). Cet article historique, le premier sur l’efficacité psychotrope du Lithium, est disponible ici : Lithium JF CADE.

En 1952 le psychiatre danois Mogens SCHOU(2) pris connaissance de la publication de CADE. Il consacra ensuite l’essentiel de ses recherches à la connaissance du Lithium. Il montra que le Lithium n’est toxique qu’au-delà d’1mmol/l et qu’il prévient les rechutes maniaques mais aussi dépressives, ce qui permit sa commercialisation avec les précautions adéquates dans le milieu des années 1970.

Anasthasio Kukopolos, en Italie, a fait des recherches majeures sur le lithium et a contribué à sa diffusion.

En France, quelques précurseurs l’utilisaient dès les années 1950, comme Tollié, Folin et Bégouin ; il faut mentionner le Dr Louis Bertagna, grand résistant puis pionnier dans l’utilisation du Lithium en clientèle privée.

Le Lithium a été commercialisé officiellement en France en 1974. Avant ce traitement, la manie était traitée par barbituriques, chambre d’isolement, voire lobotomie (la dépression sévère était traitée par sismothérapie (découverte à la fin des années 1930 par les italiens Hugo Cerletti et Lucio Bini)).Les autres traitements disponibles étaient le Laudanum, teinture d’opium utilisée depuis le XVIème siècle contre les diarrhées et les douleurs ainsi qu’à but récréatif, mais avec des effets secondaires dont la dépendance et sans effet sur la dépression, ainsi que le « Sirop de Chloral » (trichloroacétaldéhyde monohydrate), hypnotique et sédatif, aux effets indésirables mal identifiés.

Le premier neuroleptique (Chlorpromazine (Largactil) est découvert en 1952 (Laborit, Deniker, Delay)).

Les deux premiers antidépresseurs sont découverts en 1958, l’Imipramine (Tofranil), analogue du Largactil, par Roland Khun et l’Iproniazide, anti-tuberculeux aux propriétés d’Inhibiteur de la Mono-Amine Oxydase, par Nathan Kline.

Le premier tranquilisant Benzodiazépine, le chlordiazépoxyde (Librium) est découvert en 1961. Dans les années 1970, au Japon, on découvre que l’anti-épileptique Carbamazépine (Tégrétol) a des vertus régulatrices de l’humeur.)

 

Considérations générales

Le lithium soigne la manie en 6 à 8 jours et prévient les rechutes maniaques et dépressives (il faut parfois plusieurs mois de traitement pour que l’effet préventif s’installe). C’est donc le traitement de choix des troubles bipolaires.

Il est également indiqué pour traiter les troubles schizo-affectifs.

Le lithium est « anti-suicidaire » : il est indiqué dans toute situation où les idées suicidaires sont prégnantes. Son efficacité anti-suicidaire apparaît en quelques jours.

Le lithium potentialise les antidépresseurs. Il est utilisé dans les dépressions résistantes.

Les effets du lithium sont multiples et ciblent différents mécanismes du trouble bipolaire (modulation de la transmission, diminution de la réactivité neuronale, diminution de l’excitabilité, action anti-inflammatoire et anti-oxydante,…). C’est le seul traitement du trouble bipolaire permettant une réparation des hippocampes (structures impliquées dans la mémoire et les émotions, s’atrophiant avec l’évolution du trouble bipolaire) visible à l’imagerie cérébrale.

Le lithium est neuroprotecteur (trois fois moins de maladie d’Alzheimer dans le groupe de bipolaires traités par lithium versus le groupe traité par d’autres thymorégulateurs) par différents mécanismes : moindre fréquence des épisodes thymiques, synthèse de facteurs de croissance (neurotrophines, Brain Derivated Neurotrophic Factor), protection contre l’apopostose (mort cellulaire programmée), diminution de la synthèse de glutamate (neuro-médiateur excitateur), anti-oxydant, anti-inflammatoire,… Le lithium à petites doses (taux sérique entre 0,25 et 0,5mmol/l), donné dès les premiers signes de déclin cognitif, diminue nettement les concentrations de protéines Tau dans le LCR (un des facteurs responsable de la Maladie d’Alzheimer) et améliore nettement les performances des patients et ralentit l’évolution de la maladie. Dans une étude de 2019, comparant deux groupes de personnes présentant les premiers signes de déclin cognitif, dans le groupe de patients sous lithium deux fois moins de patients ont évolué vers la démence que dans le groupe sous placebo.

Le lithium entraîne une augmentation de la matière grise dans le cortex préfrontal, ce qui permet aux patients traités de retrouver une densité normale. Le lithium permettrait d’améliorer la plasticité du cerveau et la communication entre les neurones de cette région cérébrale chez les patients souffrant de troubles bipolaires. (Sarrazin S, Poupon C, Teillac, Mangin J.-F, Polosan M, Favre P, Laidi C, D’Albis M-A, Leboyer M, Lledo P-M, Henry C, Houenou J,  Higher in vivo Cortical Intracellular Volume Fraction Associated with Lithium Therapy in Bipolar Disorder: A Multicenter NODDI Study, Psychotherapy and Psychosomatics 2019, Apr, 5-6 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=sarrasin+Psychotherapy+and+Psychosomatics)

Les conséquences d’un AVC hémorragique sous lithium sont moindres et la récupération plus rapide.

Par ailleurs :

Le lithium stimule l’immunité (moins d’infections, notamment virales). Dès les années 1980 une étude in vitro  indiquait que le lithium empêche la réplication de l’Herpes virus simplex. Dans les années 2000, d’autres études ont montré l’efficacité in vitro du Lithium sur d’autres virus ; une étude a montré son efficacité sur un coronavirus. En février 2021, une étude suédoise sur 50 000 patients atteints de troubles bipolaires a montré que l’incidence des infections respiratoires était inférieure de 28% lorsque les patients étaient traités par le Lithium.

Le lithium a un effet antalgique (utilisé dans l’algie vasculaire de la face et dans le syndrome de loge) (3).

 

À noter : Le Lithium est moins efficace s’il est mis en place après une longue évolution de la maladie bipolaire, comportant de nombreuses hospitalisations. Il est donc important de ne pas différer la prescription de lithium.

Pour le moment les recherches n’ont pas mis en évidence d’autres facteurs prédictifs d’un moindre efficacité (l’alcoolisme, les troubles de la personnalité, les cycles rapides sont souvent évoqués comme associés à une médiocre efficacité du Lithium mais les dernières études ne peuvent affirmer cette notion). (voir cet article de décembre 2020).

 

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1 Cade, JFJ; Lithium salts in the treatment of psychotic excitement. Med J Aust 1949, 36, p. 349-352

2 Schou M, Le Lithium, Paris, Puf, Nodules, 1984 (édition originale 1978)

3 Données rassemblées dans : Lithium, le premier thymorégulateur, Masson M, Del Cul A, Henry C, Gay C, Malhi G, in Les troubles bipolaires, Bourgeois ML et al, Lavoisier, Paris, 2014, p.432 et s